Dans les chaumières ou au rond-point d’à côté, on a peut-être rêvé d’une justice populaire, où vous et moi aurions un accès facile à un personnage bienveillant, perspicace, incorruptible et ami des pauvres autant que du droit…
Un tel personnage a effectivement existé, non seulement dans les contes et légendes de divers pays, mais tel qu’il a été jugé à Rome en 1347. Entendez : a été jugé saint par le pape Clément VI. Jugé, et pas sur twitter ou facebook : imaginez l’arrivée à Rome d’un rouleau de 81 peaux de vélin cousues ensemble, retraçant les témoignages écrits de 243 témoins interrogés selon une procédure rigoureuse,… c’est écrit en latin, mais c’est traduit du Breton. Le personnage est connu sous le nom d’ Yves, mais en Bretagne on ne l’a connu que comme « an Autrou Zant Erwan » – Monsieur Saint Erwan.
Le 19 mai (il est mort le 19 mai 1303), Yves n’est fêté qu’en France – et la liturgie du dimanche le passe au deuxième plan… Et pourtant, il a une autre stature, il est le patron des juristes du monde entier. Un souvenir reste de Palestine, où se voient des enseignes murales en anglais, hébreu et arabe signalant le « Saint Yves Legal Center », fondé par le patriache Michel Sabbah en 1991.
Fêter un saint, c’est toujours faire mémoire de quelque chose d’essentiel en nous, un reflet spécifique de Celui qui seul est saint. En saint Yves, c’est l’exigence de justice présente au coeur de l’homme, qui prend un visage, et ce visage de la justice est loin des caricatures et des dénis qui font le spectacle partout. L’exigence de justice est bien plus universelle que l’activité des tribunaux ; elle habite le plus intime du coeur de chacun dans ses relations avec l’argent, le pouvoir, la parole publique. Que ce soit vis-à-vis de la hiérarchie, des voisins, de la famille, l’exercice de la justice est exigeant, risqué, angoissant. Et autant l’activité de l’institution judiciaire a peu de louanges dans le public, autant la justice de chacun dans son comportement est un enjeu et un témoignage fondamental (à tout hasard aussi pour le personnel politique quant il se revendique chrétien…). Alors, que le Dieu de justice et l’intercession de Zant Erwan soutiennent dans leurs combats « les affamés de la justice ».
Yves Le Corre, diacre.