Dans l’actualité récente, il y a le décès de la dessinatrice d’humour Claire Brétécher, dont un des grands succès fut une série intitulée « les frustrés ». Elle illustrait les râleries plaintives de personnages que rien ne pouvait combler ou motiver. C’était un monde d’enfants gâtés ou d’enfants gavés, qui faisaient étalage de leurs manques sans trouver de réponse, ni chez les autres, ni en eux-mêmes.
Ce ne sont pas les seuls, ni les derniers, à subir une « faim d’autre chose » qui n’arrive pas à se définir, à se dire. La faim d’en savoir davantage, à chaque minute, peut saturer d’information-divertissement. La faim de vivre intensément aboutit à des défis sans cesse reculés ou, alors, à diverses extases à doses croissantes. La faim de posséder ne connaît comme horizon que le toujours plus. L’absurdité commune, c’est que notre « faim d’autre chose », quand elle se trompe de but, se renforce indéfiniment elle-même tout en détruisant notre humanité. Il faut donc revenir au commencement et mettre le mot juste sur « l’autre chose » dont notre faim a besoin. Nommer notre faim.
Au départ, il faut refaire connaissance de notre faim, en diminuant les doses de substituts : moins de dispersion dans l’actualité, les réseaux, l’agitation. Calmer notre excitation préférée. Moins de montée en gamme flatteuse dans nos achats. Attendre et réfléchir sur ce qui est l’essentiel de notre besoin.
Ce que propose le temps du Carême, c’est ce que décrit l’évangile de ce premier dimanche où Jésus se voit proposer les substituts classiques pour la faim dont il a approfondi l’expérience : une consommation illimitée, une domination absolue, un défi excitant. Cette énumération ne comporte que de l’extrême et du démesuré : il n’est pas question d’une miche de pain, mais de toutes « ces pierres » qui deviendraient du pain. La réponse de Jésus à ces propositions est que la seule nourriture qui peut assouvir notre « faim d’autre chose » est la Parole de Dieu, qui nous annonce l’infini de l’amour. Et, par la suite de l’Evangile, nous découvrons Jésus comme la Parole elle-même, qui devient pain véritable pour la faim du monde. Alors, en ce début de Carême, bon appétit à tous de ce pain !
Yves Le Corre, diacre.