Parmi les œuvres de Rembrandt, une me touche tout particulièrement : c’est celle du « Retour du fils pardonné » : cette peinture aux couleurs chaudes où l’on voit deux hommes : un vieil homme debout, les yeux mi-clos, la tête légèrement baissée, et qui pose ses mains, délicatement, sur le dos d’un homme plus jeune, qui, lui, est à genoux, la tête posée contre la poitrine de son père. Il y a dans ce tableau un très beau détail que vous connaissez peut-être et qui est particulièrement touchant : ce sont justement les mains que le vieil homme pose sur le dos de son fils.

Ces mains se déploient l’une et l’autre largement sur le dos de ce fils ; à elles deux, elles enveloppent ce fils ; mais ces mains sont différentes : la gauche est une main d’homme et la droite celle d’une femme. Ces mains sont à la mesure du pardon que prodigue ce père à ce fils : elles manifestent la tendresse masculine et féminine de ce père. Dans une belle méditation réputée, Paul Baudiquey écrira que ces mains sont :« Lumineuses, tendres et fortes, comme est l’amour de l’homme et de la femme, tremblantes encore – et pour toujours, du déchirant bonheur. »

Ce sont de ces mains là que nous parle Jésus dans l’évangile de ce jour lorsqu’il dit : « Personne ne pourra arracher de ma main mes brebis. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut les arracher de la main du Père. »

Tous, nous sommes dans la main de Jésus, comme nous sommes dans la main du Père. Ces mains de Dieu, comme celles du vieil homme du tableau de Rembrandt, accueillent avec force et tendresse ; elles calment ceux et celles qui s’y réfugient ; elles protègent, elles portent, elles caressent, elles rassurent. C’est par ces mains à la fois pleinement masculines et pleinement féminines que Dieu nous serre avec tendresse contre lui et manifeste la complétude de l’amour qu’il nous porte.

Nous avons tant de prix à ses yeux que c’est dans ses mains-mêmes que Dieu a gravé notre nom. Ceux qui se placent dans de telles mains auront la vie éternelle et ne périront jamais. Lorsqu’on est dans de telles mains, on ne risque plus rien : Jésus le dit avec force : personne ne pourra nous en arracher.

Mains qui rassurent ? Ou mains qui enferment ?… C’est le propre du langage corporel que d’être parfois ambiguë. Les mains sont capables du meilleur comme du pire : la même main qui se tend vers moi est autant capable de me donner une caresse qu’une claque…

Vais-je refuser tout contact avec cette main pour éviter tout risque de douleur ? Ou vais-je prendre le risque de laisser cette main s’approcher de moi ?

Finalement, ce qui fait la différence, c’est la connaissance que je peux avoir de la personne à qui appartient cette main… C’est le lien de confiance qui peut exister entre cette personne et moi. Ce lien de confiance, c’est bien ce que jésus veut nouer avec les brebis que nous sommes : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent. ». Voilà comment Jésus conçoit la tâche du bon berger : connaitre ses brebis, et avancer avec elles dans une très grande confiance.

La main de Dieu ne nous tient pas comme le feraient les serres d’un rapace ; elle ne nous tient pas prisonnier. Et si elle nous retient en elle, c’est par des liens d’amour, des liens de tendresse, qui respectent infiniment notre liberté. Exactement comme dans le mariage : le mariage chrétien ne peut exister que si les fiancés s’engagent librement et sans contrainte dans cette union.

Il faut vraiment sortir de notre tête l’idée complètement fausse d’un Dieu punisseur, qui juge, et qui surveille nos faits et gestes, n’attendant qu’une chose : avoir l’occasion de nous coincer ! Et qui n’aurait comme parole que des obligations, des règles et des préceptes rigides. A entendre certains, on a parfois l’impression que, dans le mot « Seigneur », il y a un A après le S et non pas un E ! Comme si notre père du ciel était un assoiffé de sang et de douleur et de sanctions.

Pour ma part, ce que j’entends de Jésus dans cet évangile, c’est une chose toute simple : écoute ma voix… tu verras que je te connais bien… que je te respecte… et c’est parce que tu te sentiras respecté et rejoint, parce que tu auras compris que je te propose un chemin heureux et un chemin de salut, parce que tu goûteras la tendresse que je te porte que, toi-même, en toute liberté, tu voudras me suivre.

Avec sa main paternelle et maternelle, Jésus nous montre la juste manière d’être du bon pasteur.

Comme aujourd’hui c’est un dimanche où nous prions plus spécialement pour les vocations religieuses dans notre Eglise, il est tout de même important de comprendre avec justesse quel est le rôle qu’un bon pasteur doit avoir aux yeux du Christ.

Il y a si souvent des attentes mal placées autour des pasteurs ! Ou des images faussées de leur rôle, fondées sur une compréhension de l’Eglise qui n’a rien à voir avec ce que Jésus nous en dit ! Et cela peut favoriser des déviances vraiment nocives et parfois criminelles. Le cléricalisme par exemple, est l’une de ces déviances : au nom d’une vision exacerbée du sacré, certains (souvent les laïcs) considèrent les ministres ordonnés (et je dirais même plus largement tout ce qui porte une aube) comme « au-dessus » des autres baptisés, comme s’ils étaient des Christ réincarnés et que leurs paroles et leurs actes étaient en toutes circonstances ceux du Christ lui-même.

Ce n’est pas ça l’Eglise. L’Eglise, ce n’est pas seulement les ministres ordonnés et les religieux, mais c’est l’assemblée des baptisés. Le rassemblement des baptisés. L’ecclesia. Dans cette assemblée, certains baptisés sont appelés par le Seigneur à des tâches spécifiques : certains sont appelés à fonder une famille et à faire grandir leurs enfants dans la foi ; d’autres sont appelés à un service d’une nature différente en faveur des autres baptisés.

Les uns comme les autres reçoivent une aide du Seigneur afin qu’ils puissent être fidèles à la mission particulière que le Seigneur leur confie : l’Esprit-Saint va les accompagner et leur donner la force dont ils auront besoin, les uns au travers du sacrement de mariage, les autres au travers du sacrement de l’Ordre. (Les diacres mariés étant les plus affaiblis et les plus chancelants, ils reçoivent les deux sacrements !)

Ainsi, l’aube que je porte n’est pas le signe distinctif des prêtres ou des diacres ; c’est le signe des baptisés, c’est le vêtement blanc, « lavé par le sang de l’Agneau », et que porte « la foule immense » dans le livre de l’Apocalypse que nous venons d’entendre. Nous portons tous ici une aube. Dimanche prochain n’hésitez pas à porter votre vêtement blanc !

Jésus nous dit dans cet Evangile que le bon pasteur, ce n’est pas quelqu’un qui a été placé au-dessus par un quelconque choix de Dieu, le bon pasteur, c’est celui dans la main duquel on n’a pas peur de reposer. C’est celui à qui Dieu demande d’aider son peuple à percevoir la force et la tendresse de ses mains paternelles et maternelles. C’est celui qui se décentre sur les brebis qui lui sont confiées. Il n’est pas propriétaire de ses brebis, mais il est dépositaire de leur vie. Il veille sur elles. Il se met à leur service. Il leur lave les pieds. Il les soigne.

« Prendre soin de », en latin, se dit « curare » et ce mot est justement à l’origine du mot … « curé ».

Oui Seigneur, prend soin de notre curé et de tous nos pasteurs. Aide-les à connaitre les brebis que nous sommes et que toi-même leur as confiées. Qu’ils soient transparents à ta voix afin que nous puissions les suivre, en confiance, jusque dans ta main pleine de tendresse dont personne ne pourra nous arracher.

Amen.

Amaury Bertram, diacre